Histoire de l'éducation populaire
Histoire de l'éducation spécialisée

Les archives de Françoise Tétard

Un véritable « tourbillon » d’archives, au propre comme au figuré : telles apparaissent les archives de Françoise Tétard qui tapissent de son vivant le tour de son escalier tournant quasiment de la cave au grenier ! Françoise note, recopie, photocopie, rédige de son écriture ronde et régulière. Elle écrit à tout moment et sur tous types de supports : sur ses carnets personnels lorsqu’une idée ou une formule intéressante la traverse, sur des feuilles blanches le plus souvent, ultérieurement classées dans des chemises puis dans des boîtes, ou sur tout ce qui peut lui tomber sous la main : une enveloppe, un tract, une nappe de restaurant qui sera ensuite déchirée et emportée…

Le papier est omniprésent dans ses archives. Françoise ne fabrique pas d’archives orales, elle préfère tenir des dossiers nominatifs de témoins qui contiennent ses notes d’entretien oral et un certain nombre de correspondances. Est-ce par défiance personnelle vis-à-vis de toute technologie ? Ou par souci de préserver la relation naissante avec un témoin du froid réglage d’un enregistreur ? Ou bien parce que toute l’information n’est pas là et que les archives écrites demeurent la source principale de l’historien ? Il y a un peu de tout cela à la fois. « Les archives orales renseignent d’abord sur la mémoire, avant de renseigner sur l’histoire », écrit-elle dans les années 1980. « Néanmoins, faire des entretiens apporte quelques avantages : rentrer dans les ambiances d’une période, d’une situation, faire apparaître ce qui n’est écrit nulle part, mais qui quelquefois a influé sur des décisions prises ou des choix politiques, dire l’indicible (même si ce n’est pas exprimé, le témoin transmet ses impressions, ses tendances, ses silences, ses angoisses, ses bonheurs…). » Une abondante correspondance témoigne des relations amicales entretenues avec de nombreux témoins, souvent invités dans sa maison montmartroise, et qu’en retour elle sensibilise à la sauvegarde et à la lecture des « archives papier ». Plus largement, sa longue intimité avec ses sujets de recherche conjuguée à ses talents d’animatrice lui permettent de susciter des moments conviviaux où se rencontrent « chercheurs » et « acteurs de terrain ».

Comment démêler alors le « public » du « privé » dans les activités – et donc dans les archives – de Françoise ? Cette problématique public-privé qu’elle a portée au CNAHES lors de la journée d’étude de Roubaix en 2010 s’agissant du champ de l’enfance en difficulté est aussi pertinente ici. Ses archives de chercheuse du CNRS sont bien sûr globalement publiques. Mais les dossiers qui rendent compte de l’activité d’impulsion, de création et d’animation d’associations comme d’abord Tramway (dédiée à des programmes d’excursions autour de thèmes d’histoire sociale contemporaine en région parisienne), puis le CNAHES dès sa création en 1994 voire un peu avant, le PAJEP à partir de 1999,… sont bien des archives privées. On trouvera encore des archives privées glanées au cours de pérégrinations auprès de militants associatifs, d’instructeurs d’éducation populaire ou d’éducateurs spécialisés. Ces documents sont le plus fréquemment mêlés aux notes de recherche ou de publications. Certains sont des originaux inédits, introuvables ailleurs, d’autres sont des doubles de documents déjà déposés dans des services d’archives publiques. On trouvera même aussi quelques bouts d’archives de personnalités publiques, comme par exemple ce carton de notes et de coupures de presse sur les « blousons noirs », tenu entre 1959 et 1962 par Pierre Ceccaldi, le principal artisan de la direction de l’Education surveillée à partir de 1945. Dans une contribution à un colloque sur les blousons noirs (« Les blousons noirs aux portes de Paris (1957-1965) », Rouen, 2002), Françoise Tétard attribue à ce carton, promis à l’abandon et à la disparition dans les couloirs de la Direction de l’Education surveillée, le début de son intérêt pour le sujet en 1985. On pense aussi à ce carton d’Henri Michard, magistralement dépouillé en direct dans un article intitulé « Généalogie du diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé (1948-1967). Lecture d’un carton d’archives » (Sauvegarde de l’enfance, vol. 57, n°2, avril-mai 2002). D’autres archives rendent compte de l’immixtion de Françoise Tétard dans certains milieux où elle effectue de « l’observation participante » ou de « l’histoire interactive ». Mais comme elle l’écrit elle-même en 2003 : « Intimité avec son sujet cependant ne veut pas dire empathie ». L’intimité de Françoise Tétard avec ses sujets d’étude est portée à son paroxysme dans la co-écriture avec d’anciens acteurs de terrain : avec Christian Lefeuvre sur l’histoire de Culture et Liberté, avec Claire Dumas sur l’histoire des filles de justice. Le nombre de versions retrouvées d’un même texte nous font avoir une petite pensée de compassion pour ceux qui eurent à découvrir et à subir les exigences de cette écriture…

Ces archives sont provisoirement conservées au Centre d'expositions Enfants en justice à Savigny-sur-Orge pour leur classement et leur inventaire.

La maison